Tita et la Grande Pointeuse (26/02/1998)

La journée est déjà bien avancée quoi que  la lueur du jour se fait  attendre. Nous  sommes   au ‘Pays du Stress’  où les gens au regard effréné et hagard bondissent, partent en coup de vent et sont enchaînés devant leur ordinateur ou répondeur.

Le soir,  la Grande Pointeuse s’enclenche en ‘mode loisir’ . C’est le moment où les gens peuvent quelque peu décompresser après leurs tâches quotidiennes.  Les voilà tout de même en mesure de se consacrer à  autre chose : lire un livre, se rendre en salle de fitness, faire du vélo, jouer au foot, aller au cinéma. Cela procure à la plupart d’entre eux  un sentiment de bien-être et un semblant de bonheur. Les plus sensibles, tout au fond d’eux-mêmes, se rendent compte que quelque chose cloche, qu’ils vivent à une allure trop vive.

Ce sentiment n’a pas le temps de les imprégner car déjà  la Grande Pointeuse se remet en           ‘mode contrôle total’. A ce rythme  la vie se poursuit inlassablement.

Quoique ! Une fillette qui habite également ce ‘Pays du Stress’  se comporte différemment. Elle s’appelle Tita. Elle ne galope jamais mais danse, sautille et joue à  la marelle. Parfois elle ne fait tout simplement rien. En effet, Tita n’est même pas reliée à  la GrandePointeuse.   Plus frappant encore :  les gens ont peur de son regard. Les parents menacent leurs enfants : “N’essaie pas de la regarder droit dans les yeux”.

Qu’avaient donc ses yeux ?  Curieusement… ils étaient tout simplement trop beaux. Quelqu’un ayant  fixé  ses yeux s’en rendait bien compte. Au coin de la rue ou adossé au comptoir, on chuchotait alors que ce dernier commençait également à se comporter de façon étrange.  Chaque fois qu’elle regarde quelqu’un elle lui dit : “Je viens te dire combien tes yeux sont beaux ”.  A son tour, cette personne se met alors à regarder autour d’elle, à rayonner, à danser aussi,  jusqu’à ce que  laGrande Pointeuse  se dérègle entièrement.   Chefs d’entreprise, directeurs d’école,  enseignants,  parents   se creusent   les méninges à la recherche d’une protection efficace contre le ‘regard de Tita’.   Un instituteur essaya même avec des lunettes solaires, mais rien ne marche.

Entre-temps,  son  groupe d’adaptes continue à s’agrandir.  Depuis  le coin  de la  rue où tout le monde chuchotait , le  spectacle était  angoissant et intrigant. Tant de rires  et de bonheur simple occasionne de plus en plus de confusion dans le ‘Pays du Stress ‘. La Grande Pointeuse  n’était plus en mesure de contrôler la situation.

Un beau jour, Noël, un technicien,  brave père de famille habitant  la même rue que Tita, voulut  rétablir l’ordre dans son foyer en réparant  la Grande Pointeuse.  Il avait  appris que Tita était une petite fille curieuse. Cela lui donna une idée.

Cela sembla réussir. Noël put attirer Tita dans le but d’aller voir la Grande Pointeuse. Devant elle,  Tita se sent moins à l’aise. Etant donné que Noël est technicien, elle n’ose pas encore  le regarder droit dans les yeux. “Et la Grande Pointeuse ? Est-ce que mon regard sera assez puissant ? ” se demande-t-elle.

Noël remarque son hésitation. Rassuré il ouvre la lourde porte d’entrée du hall d’usine.              En y pénétrant, accompagné  de Tita,  il se rend compte de l’obscurité et de la mauvaise augure que dégagent  la Grande Pointeuse  et le ‘Pays du Stress’. Du coup, il pense à Fien , sa propre fille . Involontairement, il se retourne et fixe le regard de Tita. Il sursaute et tente très vite de détourner son regard, mais … trop tard. Tita aussi s’est saisie. “Maintenant je  vois de qui Fien tient ses beaux yeux” lui dit-elle d’un ton réservé. “A l’école, Fien s’assied toujours à mes côtés pour manger ses tartines” répond-elle au regard implorant de Noël. Noël se remet à examiner  la Grande Pointeuse qui se dérègle de plus belle. “Viens m’aider” lance-il à Tita, comme libéré d’un fardeau, et il commence consciencieusement à démonter la Grande Pointeuse. Plusieurs heures plus tard leur travail est  fait  et pour la première fois, Noël rentre chez lui … rayonnant  et souriant .

Un journal français dessinait en 2012 la fin exactement comme je l’ai écrite en 1998.
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