Seul, un homme – 21/11/2015

La nuit, invitant à se reposer,  à dormir,  à travailler, à aimer, à voyager, à rêver,  à ne pas fermer l’oeil, à guérir,  à étudier, a été balayée par une cascade de folle violence.

Paris s’éveille d’une nuit blanche. A tout instant, chacun s’est aperçu de l’heure en vérifiant ses textos, e-mails, son compte Twitter et Facebook ou encore en scrutant l’écran de sa télé, à la recherche de celui qui n’est pas encore rentré.

Les rues se remplissent de citoyens abasourdis.  “Nous sortons pour démontrer que l’angoisse ne nous paralysera pas” entendons-nous circuler ou devant les micros des ‘touristes à sensation’. La vie normale s’est pourtant immobilisée : ni bennes à ordures, ni scooters à pizza, les musées fermées, les rues désertées par les  routards et les guides touristiques, leurs parapluies pointés vers le haut.

Beaucoup d’enfants ne comprendront pas la raison pour laquelle leur papa est resté à la maison, faute de taxis, magasins, bars et musées fermés ou encore pourquoi il ne leur a encore jamais lu  autant d’histoires ou passé du temps à jouer avec eux. D’autres enfants, en vain, attendent leur papa ou leur maman qui ne reviendra plus.

D’en haut ,  nous avons une très belle vue sur les événements. Nous, ce sont  Dieu, Mohammed, Bouddha et Mère Nature. Pouvions-nous prévoir ces assauts ? Trop juste et trop tard pour intervenir. Quoique , pour pouvoir agir,  il faut que là, en bas, ils croient encore en nous, n’est-ce pas?

Nous n’avons donc pas intercédé et  nous nous trouvons maintenant, tout comme  les spectateurs aux premiers rangs d’un match de tennis, à regarder le chagrin (à gauche), le triomphe (à droite), le chaos (à gauche), les nouveaux plans de lutte (à droite), l’angoisse (à gauche).

Nous avons déjà connu beaucoup de revirements, et tandis que les croyants invoquent, pour notre omniscience, chacun de nous, nous restons cois. Mère Nature verse beaucoup de larmes ces derniers temps. Bien que grièvement blessée elle-même, elle continue, plus que jamais,  à déborder d’amour pour l’homme.  Dans l’hypothèse  que nous aurions pu agir …  de quelle façon? Et puis , qui d’entre nous ? Aucun de nous  ne peut descendre au nom de l’autre, puisqu’en bas on est partisan d’un seul d’entre nous et en même temps ennemi des autres. Même Mère Nature connaît ses protecteurs et ses détracteurs.

Elle s’est isolée et telle qu’une vieille dame peut le faire, erre au hasard. Son regarde tente de capter des mouvements de solidarité.  Dans les squares elle découvre des rassemblements où  les gens déposent des fleurs et  des doudous, allument des bougies, s’adressent à l’un d’entre nous ici-haut, chantent en se serrant. Le reste du monde peut attendre quelque peu. D’ici, elle continue à déambuler dans les rues de Paris. Des rues  sanguinolentes, sanglotantes et  colorées. Colorées car les Parisiens s’habillent  de toutes les couleurs de leur garde-robe.  Colorées aussi car malgré l’automne , on n’a jamais vu autant de fleurs à Paris. Ce sont des fleurs éphémères, sans racine, emballées de plastique superflu.

Dans cette foule infinie Mère Nature aperçoit des groupes se distinguant par des T-shirts-uniformes, des instruments de musique ou des chants repris en choeur. Tout comme une statue vivante qui se réveille, elle se redresse.  Bouddha l’invite à venir reprendre sa place au sein de notre groupe. Son “chuuut” fort et haut résonne comme une prise de conscience récupérée qui nous rallie à elle. Accroupie comme une jeune fille elle pointe son doigt vers une place et balbutie “Aucun de nous, aucun,  mais seul, un homme”.

En bas un jeune homme s’accroupit et pose un livre entre les fleurs, les doudous, les bougies et les dessins. Personne ne semble faire attention à lui, personne ne le heurte lorsqu’il se relève et s’éloigne calmement comme s’il avait l’intention de rester dans les environs.

Un homme ramasse le livre d’un geste lent et ankylosé. Caché sous ses épaules relevées et son large chapeau il sanglote de reconnaissance. D’un geste brusque,  il se retourne et cherche le ‘poseur de livre’ aux cheveux blonds. Ayant perdu tout sens du présent on le voit dans une position de prière, le livre serré contre la poitrine, flairant le parfum des fleurs et lisant les dessins. Il se retourne, le livre entrouvert sur les mains. A la lecture de la première page, personne ne l’entend. Il retourne lentement, respectueusement et de plus en plus ostentoirement les pages suivantes. Il ne pleure plus et sa voix se raffermit. Il se redresse et regarde sereinement  devant lui. Des enfants s’accroupissent  autour de lui, incitant leurs parents à revenir sur leurs pas. Une jeune policière, revêtue d’un uniforme plus élaboré et d’une arme plus puissante qu’hier, montre la scène à son chef. D’un sourire fatigué et d’un signe de tête il lui indique de protéger cette lecture. Un jeune homme ne dépose plus ses fleurs mais les distribue autour de lui. Une jeune fille en pleurs suit son exemple et reçoit en échange un câlin tellement fort  à en écraser les fleurs.

Le ‘poseur de livre’ a également prêté l’oreille  et décide de continuer sa route. Il n’a toujours pas attiré l’attention à lui bien qu’il soit vêtu bizarrement pour son âge.  Il ressemble à un jongleur de rue qui devrait se faire remarquer dans une ville envahie par les touristes. Le ‘lecteur public’ a déjà bien progressé dans sa lecture. Dès à présent,  il parle plus fort et sa voix porte déjà plus de dix rangs plus loin. Pendant une courte pause quelques membres de l’assistance  lui proposent de monter  les escaliers d’un monument. Comme un vrai ‘lecteur public’ expérimenté,  il s’arrête à bon escient et laisse errer son regard sur le public en saluant chaque dernière rangée qui vient grossir l’assemblée. Ainsi après ces paroles “Et jamais un grand homme n’en comprendra l’importance” il referme le livre en regardant au-delà de la dernière rangée.

Alors que la lecture prend fin, quelqu’un s’arrête, seul , quelque peu écarté de la dernière rangée.    Le jeune homme aux cheveux dorés et mèches folles, portant un châle jaune et une ceinture rouge sur son costume vert démodé, agite le bras en direction du ‘lecteur public’, se retourne et disparaît de l’autre côté de la place.

“Aucun de nous n’en est capable.  Aucun de nous mais seul, un homme!”, soupire Mère Nature rassurée et apaisée tandis qu’elle le montre du doigt.

L’inspiration pour ce texte: les attentats à Paris 13/11/2015

Le 14/11/2015 j’ai vu sur la télé un homme qui déposait le livre « Le Petit Prince » parmi les fleurs, bougies, doudous, etc. Dans mon texte, c’est le Petit Prince même qui dépose son livre.

De suite, Mère Nature comprend que eux, les dieus, ne sont pas capables à sauver l’humanité de la violence , mais elle trouve le Petit Prince capable de le faire – grâce à sa neutralité et sa bonté universelle et inconditionnelle.

Honnêtement, c’est ma conviction personnelle aussi.

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